Jean-Luc Moudenc : Le sport à Toulouse va bien au-delà du rugby
Les sportifs toulousains ont rapporté 19 médailles sur les 64 obtenues par la France lors des Jeux ; vous les avez célébrés sur la place du Capitole. Est-ce important pour la ville ?
Il était logique d’honorer nos athlètes mais aussi de fêter la réussite de ces Jeux. Pendant des mois, on a parlé de tout ce qui ne va pas dans le pays. En France, on aime toujours parler du négatif. Et puis tout s’est bien passé, au-delà même de ce que l’on pouvait imaginer. Ce fut un grand moment de bonheur et de communion nationale. On a évoqué à juste titre une « parenthèse enchantée », qui s’est aussi traduite par une trêve politique que les Français ont appréciée. Voir des politiciens batailler sur les plateaux de télé ne leur a pas manqué. La leçon de ces JO est que le sport favorise le rapprochement et la cohésion. Il est facteur d’apaisement, et, s’il promeut la compétition, qui fait partie de la vie, il véhicule aussi des valeurs de solidarité. Le sport produit tout le contraire d’un phénomène que je dénonce souvent, c’est-à-dire la tendance lourde à verser dans l’hyperindividualisme.
Ce succès toulousain a surpris la France… Et vous ? Non, car je connais ces athlètes depuis longtemps. Jusqu’à présent, le sport à Toulouse était avant tout associé au Stade toulousain. Le fait nouveau, c’est que Toulouse, grâce à ces JOP et grâce à ses athlètes, est apparue ville sportive dans une multiplicité de disciplines. Les Français l’ignorent, mais le club des Dauphins du Toec est celui qui fournit le plus d’athlètes à l’équipe de natation française depuis quarante ans. Ce club est né en 1908, pratiquement en même temps que le Stade toulousain, créé un an plus tôt. La force de ces clubs plus que centenaires, c’est de réussir à figurer dans l’élite tout en restant ouverts à tous les Toulousains.
Le club se plaint de manquer de créneaux dans les piscines, pour l’entraînement des nageurs comme pour l’apprentissage de la natation… Le projet des Dauphins de construire une « cité de la natation » sur l’île du Ramier constitue la solution. La construction de ce complexe ambitieux permettrait de libérer huit cents heures de créneau de nage par semaine dans les autres piscines de la ville. En soutenant ce projet, on soutient non seulement un club emblématique, mais aussi les clubs moins connus. Dans le montage financier envisagé, la ville apporte un terrain valorisé à 2 millions d’euros et une aide de 20 millions. Pour alléger le club, les Dauphins voudraient récupérer l’un des anciens bassins des JO, qui serait évidemment baptisé Léon-Marchand !
Les Dauphins du Toec, comme le Stade toulousain, détiennent leurs installations. Le Toulouse Football Club (TFC) aimerait qu’il en soit de même pour lui et veut donc renégocier la convention d’occupation du Stadium. Qu’en pensez-vous ? Le TFC est dans une situation particulière. C’est un grand club professionnel, mais hébergé dans une structure publique. Longtemps municipal, le Stadium est désormais propriété de Toulouse Métropole. Déjà, sous la présidence d’Olivier Sadran, le club se montrait réservé à l’égard des agents municipaux, avec des critiques parfois cruelles sur l’état de la pelouse. Les nouveaux dirigeants aimeraient avoir davantage les coudées franches en gérant l’équipement. Je le dis, je suis opposé à toute privatisation. Il n’est pas question de vendre le Stadium au secteur privé. Même si je suis conscient que cela valoriserait le club, les actionnaires seraient les seuls à y gagner. Le Stade toulousain dispute des rencontres au Stadium. C’est important pour eux parce que davantage de spectateurs peuvent assister au match, et cela génère des recettes utiles au club. La spécificité du Stade toulousain, c’est qu’il n’y a pas un milliardaire derrière. Le club n’est pas sur le modèle capitalistique des autres grandes équipes de rugby. Didier Lacroix, son président, nourrit de longue date un projet d’agrandissement du stade Ernest-Wallon. Toutefois, ce dernier appartient à une association, Les Amis du Stade toulousain. C’est une situation complexe ! Pour faire avancer le schmilblick, et parce que je trouve que ces discussions durent depuis trop longtemps, j’ai indiqué que j’étais disposé à débloquer une participation de 20 millions d’euros. C’est une façon d’inciter les autres collectivités, la région, le département, à se positionner à leur tour. Mais ce n’est en aucun cas un « chèque en blanc », comme j’ai pu le lire ici ou là. J’ai, au contraire, avancé avec une prudence de Sioux. Aujourd’hui l’histoire se complique, car, alors que Didier Lacroix a présenté un projet d’agrandissement de 18 000 à 25 000 places, Damien Comolli, le président du TFC, a indiqué qu’il voudrait, lui aussi, agrandir le Stadium. La question de la capacité de ce dernier, dont la jauge varie entre 35 000 et 40 000 places selon les normes des grandes compétitions de foot et de rugby, a été posée régulièrement. Mais elle n’avait jamais été chiffrée. On ne parle plus d’un « grand stade », c’est déjà ça. Mais on se retrouve maintenant avec les deux présidents des deux clubs emblématiques qui veulent chacun agrandir « leur » stade.
Que leur répondez-vous ? Qu’ils se parlent ! Je leur dis aussi qu’il est hors de question qu’un club écrase les autres et toute la politique sportive de la municipalité. On ne choisit pas l’élite contre le sport amateur. La ville soutient la pratique amateur de toutes les disciplines dans tous les quartiers. Nous sommes généralement propriétaire des équipements sportifs. Dans une grande métropole comme Toulouse, cela représente un patrimoine de 700 stades, gymnases, piscines, boulodromes, terrains de tennis… Cela demande des crédits d’entretien importants, avec un budget d’investissement de l’ordre de 70 millions d’euros. Le « plan piscine » représente à lui seul 33 millions pour rénover des bassins qui souffrent de vétusté. Le vieillissement des piscines est un problème qui touche toutes les villes françaises, puisqu’elles ont pratiquement toutes été construites à la même époque.
La désignation de Michel Barnier à Matignon signe-t-elle la fin de la trêve olympique ? Les comportements des différents partis politiques ne sont pas à la hauteur de la situation. Michel Barnier est un homme qui a la trempe, le courage et la hauteur de vue nécessaires. On dit qu’il appartient à l’« ancien monde » ; c’est pour moi une qualité. Il a effectivement cette perception à l’ancienne de la politique, conçue avant tout pour servir son pays plutôt que se servir soi-même.
Est-il l’homme de la situation ? Personne ne comprend que Michel Barnier a été pendant dix ans commissaire européen. C’est-à-dire qu’il a été membre d’un « gouvernement européen » où il y avait des conservateurs, des libéraux, des centristes, des socialistes. C’est un type ouvert, pas recroquevillé sur lui-même. Ce n’est pas du tout la droite rance et rabougrie. Quand je vois que la gauche, y compris la plus raisonnable, lui claque la porte au nez seulement parce qu’il n’est pas de leur famille, je me dis que ces gens-là sont d’un autre siècle. Ils sont restés dans la vieille politique. Je ne dis pas ça parce que Michel Barnier est un ami et qu’on appartient à la même famille de pensée. J’aurais dit la même chose de Bernard Cazeneuve, qui est à mes yeux un « Michel Barnier » de gauche.
La situation est-elle désespérée ? Le paradoxe incroyable, c’est que tous ceux qui se sont mobilisés pour faire barrage au Rassemblement national sont en train de préparer sa victoire. Si les blocages persistent, les frustrations et mécontentements qui se sont exprimés dans les urnes vont gagner encore plus de Français. Tout ce petit monde travaille pour Mme Le Pen, c’est une perspective effrayante. Pendant des semaines, l’ex-majorité présidentielle a dénoncé les extrémismes à droite comme à gauche. Mais, au soir du premier tour, en organisant le barrage avec le Nouveau Front populaire, elle ne s’est plus focalisée que sur un seul. Puisqu’il n’y aurait plus d’extrémisme à gauche, il faudrait travailler avec Jean-Luc Mélenchon ?