La folie des perles à Paris

Le Louvre avait accepté avec beaucoup de réticences la surprenante collection d’art léguée par Madame Thiers en 1880. Il faut dire que ces objets hétéroclites, exposés avec les bijoux de la Couronne dans la galerie d’Apollon, avaient été qualifiés par les frères Goncourt d’« affreux et de bourgeois ensemble d’art ». En 1922, un projet de loi autorisa le musée à s’en défaire. La vente aux enchères, qui suivit deux ans plus tard devant un millier de spectateurs, suscita une immense vague d’intérêt des deux côtés de l’Atlantique. Un objet attira tout particulièrement l’attention : un collier de 145 perles remarquablement assorties et ordonnées sur trois rangs. Pour exalter son prestige et attirer l’intérêt d’une clientèle américaine, le journal Butte Miner n’hésita pas à proclamer que le musée se séparait en vérité des perles parce qu’elles se mouraient car elles avaient besoin d’être aimées. Une mère de substitution avait même été trouvée pour un temps en la personne de Lilian Greuze. D’après le quotidien, l’actrice choisie pour sa « peau veloutée et son tempérament égal » se présentait chaque jour au Louvre pour recevoir les perles qui illuminaient ensuite son cou le temps d’une promenade, encadrée par une escouade de gendarmes, le long de la rue de Rivoli jusqu’aux Champs-Elysées devant les passants éblouis.

Le prestige des perles sous la IIIème République

Cette anecdote savoureuse, qui s’apparentait plus vraisemblablement à une opération de communication qu’à une véritable opération de sauvetage scientifique, nous donne néanmoins une idée du prestige qui auréolait les perles fines sous la IIIème République. Les chiffres de la vente nous le confirment de manière irrécusable puisque le collier fut cédé à Cartier pour plus de 11 millions de francs. Cette somme extravagante était-elle une exception pour un collier de ce calibre ? Même pas. Huit ans plus tôt, le « deux rangs » cédé par Pierre Cartier à Maisie Plant contre un hôtel particulier situé à l’angle de Ve Avenue et de la 52e Rue valait un million de dollars, soit environ 21,5 millions d’euros actuels. Vous avez bien lu : la valeur d’un collier de perles sans défaut correspondait il y a un siècle au prix d’un palais Renaissance de cinq étages, situé sur l’artère la plus prestigieuse de New York.

Les raisons de cet engouement irrationnel

Quelles sont les raisons de cet engouement irrationnel pour les perles fines ? Dressée au cœur de l’hôtel Mercy Argenteau qui accueille désormais le nouveau campus parisien de l’école des Arts Joailliers soutenue par Van Cleef & Arpels, l’exposition « Paris Capitale de la Perle » fournit plusieurs éléments de réponses tout en nous permettant d’admirer une centaine de bijoux provenant d’une vingtaine de préteurs prestigieux. « A la fin du XIXème siècle, les perles fines, obtenues sans intervention de l’homme, obtiennent le statut de l’ultime valeur refuge en raison de leur rareté » indique le Docteur en Histoire de l’art Leonard Pouy, enseignant-chercheur à l’École des Arts Joailliers. « Elles triomphent du diamant, devenu plus accessible après la découverte des mines d’Afrique du Sud. Au même moment, la capitale française se hisse au rang de centre mondial du commerce des perles, grâce notamment à l’ascension des marchands français dans le golfe Arabo-Persique : les frères Rosenthal acceptaient de payer des prix très élevés pour disqualifier leurs confrères européens, londoniens notamment. »