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Pourquoi remplacer l’AME par une aide médicale d’urgence est une mauvaise idée

C’est l’un des sujets fétiches de la droite dure et de l’extrême droite : l’aide médicale d’Etat (AME), ce dispositif de soins gratuits accordé aujourd’hui aux sans-papiers présents sur le sol depuis au moins trois mois, et dénoncé par cette frange de l’échiquier politique pour son coût financier (environ 1 milliard d’euros par an), et l’attractivité qu’il exercerait à l’endroit des migrants.

Lundi sur TF1, le nouveau ministre de l’Intérieur, le LR Bruno Retailleau, a de nouveau remis le sujet sur la table : «On a un souci : nous sommes l’un des pays européens qui donne le plus d’avantages. Je ne veux pas que la France se singularise. Que la France soit le pays le plus attractif d’Europe pour un certain nombre de prestations sociales d’accès aux soins.» Et de plaider pour la transformation de l’AME : «On la réforme en aide médicale d’urgence, on la fait passer, comme le font les pays européens, sur l’urgence, et pas non plus sur un accès trop débridé.»

Si Bruno Retailleau ne rentre pas le détail, allusion est ensuite faite par le journaliste et le ministre à un amendement voté par le Sénat le 7 novembre 2023, qui avait remplacé l’AME par une aide médicale d’urgence (avant le rétablissement de l’AME par les députés trois semaines plus tard).

## Les limites de l’aide médicale d’urgence

Cette transformation de l’AME en AMU pose cependant plus de questions qu’elle n’apporte de solutions, même pour les opposants au système actuel. Et pourrait se révéler, in fine, assez inopérante, selon de nombreux experts.

Dans un rapport bipartisan sur l’aide médicale d’Etat, rédigé par l’ancien ministre socialiste de la Santé, Claude Evin, et le LR et ancien haut fonctionnaire Patrick Stefanini, remis au gouvernement Borne en décembre 2023, cette piste est en effet largement étrillée.

Pour analyser la faisabilité de l’AMU, qui constitue l’un des chapitres de leur rapport, les deux hommes se sont basés sur le projet défini par l’amendement sénatorial de novembre 2023. Celui-ci prévoyait l’instauration d’un droit de timbre (impôt dû sur certains actes administratifs) et un périmètre de soins restreint, défini comme suit : la prophylaxie et le traitement des maladies graves et les soins urgents dont l’absence mettrait en jeu le pronostic vital ou pourrait conduire à une altération grave et durable de l’état de santé de la personne ou d’un enfant à naître ; les soins liés à la grossesse et ses suites ; les vaccinations réglementaires ; les examens de médecine préventive.

## Des conséquences néfastes sur la santé publique

Au-delà des difficultés – très concrètes – d’application d’une telle réforme, les rapporteurs soulignent également «des conséquences négatives sur la santé des personnes» et sur «la sollicitation des établissements hospitaliers», d’ores et déjà fragilisés. Selon l’ensemble des acteurs de santé interrogés par Evin et Stefanini, «tout ce qui risque de se traduire par un moindre accès à la prévention, au dépistage, au diagnostic précoce et à la médecine ambulatoire d’une manière générale pèserait défavorablement sur l’état de santé des personnes d’une part, sur la santé publique d’autre part (risques infectiologiques en particulier), et sur la résilience du système hospitalier enfin confronté de facto à la nécessité de prendre en charge plus de patients à l’état de santé dégradé dans le cadre des soins urgents et vitaux».

En effet, au moment où le système hospitalier, et notamment des urgences, apparaît aujourd’hui congestionné, une partie des consultations de ville pour ce public basculerait sur l’hôpital, «à un stade qui pourrait être plus dégradé de la pathologie concernée». Et alors même que «sur le plan budgétaire, les hospitalisations sont beaucoup plus coûteuses que les soins prodigués en ambulatoire».

## Une réforme coûteuse et inefficace

Pour les rapporteurs, outre les conséquences qu’une prise en charge tardive aurait sur le système hospitalier, il n’est donc pas acquis «que le remplacement de l’AME par une aide médicale urgente se traduirait par des économies pour les dépenses de l’Etat».

Et de tacler les exemples avancés par l’amendement du Sénat, et jugés non urgents ou non essentiels (rééducation physique, kinésithérapie…), auxquels les bénéficiaires de l’AME «accèdent aujourd’hui de manière inconditionnelle et sans participation financière». Ces soins, rappellent Evin et Stefanini, «s’ils n’étaient pas pris en charge financièrement, conduiraient à voir se dégrader des situations de santé (le traitement d’une épaule douloureuse par une kinésithérapeute est préférable à une prise en charge tardive nécessitant éventuellement une intervention chirurgicale) ou conduirait à maintenir en séjour hospitalier des patients pouvant bénéficier d’un autre mode d’intervention».

Des conclusions similaires à celles avancées, en juin, par le Comité de veille et d’anticipation des risques sanitaires (Covars, rattaché au ministre de la Santé). Dans une lettre ouverte publiée peu avant les législatives, ses membres ont ainsi mis en garde contre une telle réforme. «Ce dispositif doit être renouvelé tous les ans ; 415 000 personnes en ont bénéficié en 2022 pour un budget de moins de 0,5 % des dépenses totales de santé, rappellent leurs membres. La réduction drastique du périmètre de l’AME, voire sa suppression, pourrait paradoxalement accentuer les difficultés du système de santé français : des retards de l’accès au diagnostic et aux traitements, notamment de maladies transmissibles, pourraient amener à transférer des pathologies normalement traitées à moindre coût en médecine de ville, vers une prise en charge hospitalière, plus coûteuse, et surcharger inutilement les hôpitaux publics déjà en grande difficulté.»