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Retour des espions israéliens : les bipeurs du Hezbollah en explosion

MOSSAD & CO.

Les explosions, mardi et mercredi, de bipeurs puis de talkies-walkies appartenant à des militants du Hezbollah ont été largement imputées aux services de renseignement israéliens. Une opération réussie qui en dit long sur les capacités des espions israéliens et leur rôle dans le conflit actuel au Proche-Orient.

Les opérations de sabotage de bipeurs et de talkies-walkies survenues les 17 et 18 septembre au Liban ont pu être qualifiées de « moralement discutables » ou « légalement douteuses », tout en étant perçues comme « techniquement impressionnantes » et diablement « efficaces ».

Quelles que soient les opinions sur les explosions ayant visé des milliers de militants du Hezbollah, et fait des victimes collatérales coup sur coup, les services secrets israéliens sont de retour sur le devant de la scène médiatique.

Rédemption pour le 7 octobre ?

Il était temps pour le Mossad et les services de sécurité militaires. Les attaques sur le sol israélien du 7 octobre 2023 « ont pu être analysées comme un échec opérationnel du renseignement israélien à anticiper cette opération du Hamas, et en un sens, le sabotage au Liban des bipeurs et des talkies-walkies sert aussi à réhabiliter l’image de ces services », souligne Aviva Guttmann, spécialiste de l’histoire des agences de renseignement en Europe et au Moyen-Orient à l’université d’Aberystwyth (Pays de Galles).

Cependant, les détails sur l’organisation et l’exécution du plan israélien restent encore flous et les informations à ce sujet évoluent rapidement.

Remonter, par exemple, à l’origine de la fabrication des bipeurs piégés relève ainsi de l’histoire à multiples rebondissements. D’abord fabriqués à Taïwan par leur constructeur, les petits appareils auraient ensuite été assemblés par une filiale en Hongrie, elle-même parfois présentée dans la presse comme une probable couverture mise en place par les renseignements israéliens depuis plusieurs années. Et les espions israéliens auraient peut-être eux-mêmes fabriqué les bipeurs, en Hongrie… ou ailleurs.

L’État hébreu n’a même pas reconnu être à l’origine de l’opération. “Mais ça, ce n’est pas nouveau, les Israéliens maintiennent chaque fois un certain degré d’ambiguïté autour de leurs opérations clandestines”, rappelle Daniel Lomas, spécialiste des services de renseignement à l’université de Nottingham. Un constat est néanmoins partagé par tous les experts interrogés. “Réussir une opération d’une telle magnitude est impressionnant, même pour des services de renseignement à la réputation d’efficacité déjà aussi bien établie que ceux d’Israël”, estime Ahron Bregman, politologue israélien au King’s College de Londres, qui a écrit sur les services secrets israéliens.

C’est d’abord une prouesse sur le plan organisationnel, dont on a pu créditer le Mossad, le service israélien de renseignement extérieur, et dans une moindre mesure de l’unité 8200 de l’armée, en charge de l’interception des signaux électroniques (un proche équivalent de la NSA nord-américaine). Mais « avec seulement 2 000 employés, le Mossad n’a pas les moyens humains pour s’occuper de tout ce qui ne relève pas de l’aspect guerre électronique de l’opération », soutient Clive Jones, directeur de l’Institute for Middle Eastern and Islamic Studies au sein de l’université de Durham (Royaume-Uni).

Coordination minutieuse entre espions

Pour lui, il faut probablement aussi inclure des éléments de l’unité 504 du renseignement militaire, « en charge de la supervision des agents infiltrés dans les pays voisins, donc qui ont leur mot à dire sur l’aspect humain au Liban », ajoute Clive Jones.

Enfin, « vu l’ampleur de l’opération, l’installation matérielle des dispositifs explosifs a probablement été en partie supervisée par des unités spécialisées de l’armée israélienne, telle que le génie », estime l’expert de l’université de Durham. Il rappelle que ce sont ces spécialistes qui avaient notamment piégé en 1996 le téléphone de Yahia Ayache, le principal artificier du Hamas, en 1996.

Une coordination minutieuse a donc été nécessaire entre diverses agences pendant plusieurs mois. Pas évident quand on sait “qu’à la fois lors de la guerre du Kippour en 1973 et lors du 7 octobre 2023, c’est en partie la mauvaise coopération entre les différentes agences qui a été mise en cause pour expliquer la faillite du renseignement israélien”, souligne Ahron Bregman. Pour lui, le succès de l’opération libanaise prouve qu’il y a vraiment eu un travail effectué sur cet aspect.

Le mystère autour des bipeurs piégés et de leur fabrication a été au cœur de l’attention médiatique. Mais “si toute la logistique en amont de cette opération est un aspect très impressionnant, il ne faut pas négliger la complexité des défis à surmonter pour gagner la confiance du Hezbollah – un mouvement connu pour son haut degré de paranoïa – afin de faire parvenir dans les mains de ses militants les engins piégés”, souligne Shir Mor, une ancienne de l’unité 8200 de l’armée israélienne, spécialiste des questions de sécurité au Moyen-Orient à l’International Team for the Study of Security (ITSS) Verona.

Démonstration de force

Mais si le but était avant tout d’espionner et de perturber les communications de l’ennemi, pourquoi faire exploser les bipeurs et talkies-walkies ? “Il y a en effet des moyens pour brouiller les communications sans blesser des milliers de personnes”, reconnaît Steven Wagner, historien et spécialiste du renseignement au Moyen-Orient.

L’une des explications « pourrait être qu’en faisant exploser les engins, Israël fait passer le message qu’il ne reculera devant rien pour atteindre ses objectifs, et que les services de sécurité se montreront sans pitié », estime Daniel Lomas.

L’autre hypothèse tient au calendrier de cette opération. “Il semblerait qu’à l’origine, Israël voulait s’en servir en cas de guerre ouverte contre le Hezbollah, mais a dû la déclencher plus tôt parce qu’il y avait un risque que les dispositifs soient découverts”, explique Aviva Guttmann. Dans le cas d’une attaque armée au Liban, “faire exploser les bipeurs et envoyer une partie des officiers du Hezbollah à l’hôpital aurait pu se révéler utile”, juge Steven Wagner.

Pour cet expert, les autorités israéliennes “se servent maintenant de cette opération pour assurer qu’une ‘nouvelle phase’ du conflit a commencé”. L’idée serait de laisser planer la menace d’autres opérations du même type à venir “afin de pousser le Hezbollah à reculer de la frontière du Liban avec Israël”, analyse Steven Wagner. Les Israéliens espéreraient capitaliser sur la peur que cette attaque peut avoir généré dans les rangs du Hezbollah pour atteindre leur objectif principal au nord – permettre le retour des plus de 100 000 Israéliens qui ont dû quitter la région frontalière – sans avoir à déclencher une guerre.

Les explosions des talkies-walkies entreraient dans cette logique. Pour les experts interrogés par France 24, c’est une manière de dire : “Regardez, on a encore des atouts dans notre manche”. “C’est malin, car après les bipeurs, les responsables du Hezbollah ont pu se dire qu’il restait toujours les talkies-walkies. En démontrant le contraire, les services israéliens discréditent la milice chiite et suggèrent qu’ils peuvent faire sauter tout ce que le Hezbollah utilise ou distribue aux Libanais”, résume Aviva Guttmann.

Mais ce sabotage à grande échelle n’est pas sans risque. « Si cette opération à la James Bond est peut-être impressionnante et permet à Israël d’enregistrer une victoire tactique contre son ennemi au nord, le risque est réel que cela pousse le Hezbollah à déclencher une guerre ouverte contre Israël », avertit Ahron Bregman. Et même si, comme le souligne Aviva Guttmann, « c’est ce qu’une partie du gouvernement veut », ce serait un conflit très coûteux et qui ne faciliterait pas le retour des résidents israéliens dans la région frontalière.