La question des avoirs russes gelés depuis deux ans s’annonce comme l’un des nœuds gordiens des futures négociations de paix en Ukraine. Un casse-tête à 200 milliards d’euros qui place l’Europe, et particulièrement la Belgique, dans une position pour le moins inconfortable. Ces fonds, stockés chez le dépositaire Euroclear à Bruxelles, cristallisent toutes les contradictions de la position occidentale.

Un dilemme diplomatique de taille

Premier paradoxe : que faire de cette manne financière le jour où les armes se tairont ? La logique diplomatique classique voudrait que ces avoirs soient restitués à Moscou une fois la paix signée. Mais voilà, personne n’est dupe : Vladimir Poutine ne manquerait pas d’utiliser ces 200 milliards pour reconstituer sa machine de guerre et repasser à l’attaque. Une perspective qui donne des sueurs froides aux chancelleries européennes, elles-mêmes bien en peine à se réarmer. Le maître du Kremlin, qui a déjà démontré sa propension à la récidive militaire, disposerait alors d’un formidable trésor de guerre pour préparer sa prochaine invasion… Une question existentielle pour l’Europe.

Face à ce scénario, Volodymyr Zelensky réclame depuis longtemps une autre option : le transfert pur et simple de ces avoirs à l’Ukraine au titre des réparations de guerre. La demande n’a rien de fantaisiste quand on sait que 75 à 80 % des infrastructures ukrainiennes ont été détruites par les bombardements russes. Mais pour Moscou, c’est une ligne rouge absolue. Comment Vladimir Poutine pourrait-il justifier auprès de sa population une guerre qui aboutirait non seulement à un échec militaire (l’Ukraine n’a pas été conquise), mais aussi à la perte de 200 milliards d’euros d’avoirs souverains ? Ce serait politiquement dommageable, si tant est qu’une opinion publique existe vraiment en Russie.

Les défis de la Belgique

La Belgique, elle, se retrouve dans une position particulièrement délicate. Bruxelles, qui abrite ces fonds controversés via Euroclear, redoute des représailles russes. Les autorités belges marchent sur des œufs, conscientes qu’elles pourraient devenir la cible privilégiée du courroux de Moscou. Sans compter les conséquences sur la réputation de la place financière bruxelloise : quel État confiera encore ses avoirs à un pays capable de les « confisquer » sous pression politique ?

Mais le plus grand paradoxe reste juridique. L’Europe, qui n’a cessé de dénoncer les violations du droit international par la Russie, peut-elle s’autoriser à son tour à bafouer ces mêmes règles ? La confiscation d’avoirs souverains étrangers est tout simplement interdite par le droit international. S’engager dans cette voie reviendrait à miner la crédibilité du discours occidental sur le respect de l’ordre international fondé sur le droit. De nombreux pays pourraient être tentés de retirer leurs réserves des places financières occidentales, accélérant la fragmentation du système financier mondial que la Chine appelle de ses vœux. Si plus personne ne respecte le droit international, c’est le début d’un coup de force en chaîne dont les conséquences sont incalculables. Peut-être sommes-nous déjà entrés dans ce monde-là…

Donald Trump, qui veut être l’homme de la paix en Ukraine, n’a pas la main sur ce levier diplomatique crucial, entièrement contrôlé par l’UE. Une situation qui pourrait d’ailleurs compliquer sa promesse de résoudre le conflit en 100 jours alors que ses envoyés spéciaux entament, en Arabie saoudite, un dialogue avec ceux de Poutine. En attendant, les Européens tentent de louvoyer en se contentant de ponctionner les revenus générés par ces avoirs gelés, estimés à 3 milliards d’euros par an. Le premier versement à l’Ukraine a été effectué en juillet dernier à hauteur de 1,5 milliard d’euros. Une solution qui ne résout en rien l’épineuse question du sort final de ces 200 milliards…