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Dans la vallée du Makhrour, en Cisjordanie, une famille franco-palestinienne se mobilise depuis des années contre l’expropriation annoncée d’un terrain. Fin juillet, des colons israéliens ont saisi les terres par la force, illustrant l’accélération de la colonisation en Cisjordanie depuis le début de la guerre à Gaza. L’affaire est remontée jusqu’au consulat de France, qui semble bien impuissant.

À Beit Jala, c’était un restaurant apprécié pour sa cuisine et sa convivialité. « L’endroit est magnifique, la nourriture succulente et les propriétaires sont adorables […]. Si vous passez par Beit Jala, un arrêt à Al Makhrour est obligatoire », commentait en 2015 un internaute sur la page Facebook du restaurant. Dans cette vallée catholique située à l’ouest de Bethléem, en Cisjordanie, et classée depuis 2014 au patrimoine mondial de l’Unesco pour ses champs d’oliviers et ses vignes, le restaurant de la famille Quasieh n’est pourtant plus qu’un tas de ruines surmonté de clôtures.

Le 31 juillet, des colons israéliens ont saisi le terrain de 5 000 m2 avec l’appui de l’armée et délogé cette famille franco-palestinienne, au motif qu’elle n’est pas propriétaire des terres. « Nous sommes visés parce que nous refusons la politique sioniste du gouvernement », dénonce au téléphone Michelle Quasieh, Franco-Israélienne de 54 ans. C’est son mari, Ramzi, qui a hérité du terrain. En 2001, ce Palestinien y a entrepris l’ouverture d’un restaurant avec sa femme et leurs quatre enfants. D’abord sans électricité, avant que des panneaux solaires ne remédient au problème. Pendant des années, des centaines de touristes de passage à Bethléem, s’y sont arrêtés pour manger une salade, avant de reprendre leur randonnée dans les vallées verdoyantes. Face au succès de leur enseigne, la famille a décidé d’y accoler en 2012 une maison, qui servait aussi de chapelle à l’occasion de fêtes religieuses.

Une lutte contre l’accaparement des terres palestiniennes

Depuis 1967 et l’invasion de la Cisjordanie par l’État hébreu, près de 500 000 Israéliens et 3 millions de Palestiniens cohabitent sur ce territoire. La vallée du Makhrour a longtemps été épargnée par les colonies sauvages, mais les ennuis ont commencé en 2012, lorsqu’un avant-poste israélien – une colonie non autorisée par le gouvernement – y a été construit. La famille Quasieh n’ayant pas de permis de construire valable pour la maison, le restaurant est détruit une première fois. Le porte-parole du conseil régional du Gush Etzion, groupe de colonies juives au sud de Bethléem, assure que le terrain contesté est la propriété d’une filiale du Fonds national juif depuis 1969. « Il y a 20 ans, la famille Kasiya [sic] l’a envahie illégalement », nous répond-t-il.

La famille Quasieh, qui assure le contraire, a reconstruit son restaurant, avant que celui-ci ne soit de nouveau démoli en 2013, puis en 2015. En 2019, la famille décide de porter l’affaire devant la justice pour faire entendre ses droits. Mais en 2023, un tribunal civil de Jérusalem a donné raison à l’entreprise israélienne et validé l’expropriation.

La famille Qasieh est loin d’être la seule dans ce cas : pour des raisons historiques, la plupart des terres privées en Cisjordanie ne sont pas officiellement enregistrées, ce qui permet à Israël de se les approprier plus facilement. En juin dernier, l’État hébreu s’est ainsi accaparé plus de 1 200 hectares de terres en Cisjordanie, un record en trois décennies.

Une escalade de la colonisation israélienne

Pour empêcher une énième reconstruction du restaurant, l’armée israélienne a décrété une « zone militaire fermée » autour du terrain, empêchant quiconque d’y pénétrer jusqu’au 1er septembre. Soutenus par l’armée, les colons ne sont pas inquiets. Ils savent que les avant-postes construits aux alentours ne seront bientôt plus considérés comme illégaux par le gouvernement, même si le droit international ne reconnaît aucune de ces colonies. Fin juin, le ministre des Finances israélien d’extrême droite et administrateur des colonies en Cisjordanie, Bezalel Smotrich, a annoncé la légalisation de cinq colonies « sauvages », soit 1 270 hectares, en réponse à la décision unilatérale de cinq pays de reconnaître l’État de Palestine (Norvège, Irlande, Espagne, Estonie et Arménie).

Parmi elles, celle de Nahal Haletz, à proximité du terrain de la famille Quasieh. Le gouvernement espère ainsi relier la ville de Jérusalem au Gush Etzion, où vivent près de 100 000 Israéliens. « D’abord, c’est une colonie qui permet de bloquer l’expansion du village palestinien de Battir vers Jérusalem. Surtout, elle permet de rallier plus rapidement le Gush Etzion à Jérusalem », confirme Yonatan Mizrachi, co-directeur de l’ONG israélienne Peace now, qui milite pour une solution à deux États.

Une résistance citoyenne non violente

Depuis un mois, Michelle Quasieh et sa fille Alice, 30 ans, organisent une véritable mobilisation citoyenne non-violente pour dénoncer leur expropriation. Le 25 août, elles ont même été arrêtées par la police israélienne, avant d’être relâchées quelques heures plus tard. « Si je quitte mon terrain, je n’ai plus rien dans ce pays. Si je ne me bats pas, toute la vallée va être envahie par les colons. On n’a pas peur. On n’est pas des criminels », lance Michelle Quasieh, qui a installé une tente à quelques encablures du terrain pour accueillir militants, journalistes et autres soutiens de la cause.

Ces dernières semaines, le consul de France à Jérusalem, Nicolas Kassianides, qui n’a pas souhaité répondre à nos questions, a fait le déplacement jusqu’à Makhrour pour apporter son soutien : « C’est une famille française et c’est le travail du consulat de soutenir ses ressortissants, donc j’ai voulu marquer notre solidarité et notre appui aux démarches pour faire valoir leurs droits […]. La famille Kasiya [sic] a transmis des documents attestant du droit de propriété », a-t-il déclaré à une équipe de l’AFP sur place.

Une escalade de la colonisation israélienne

Si le cas de la famille Quasieh est remonté jusqu’au sommet de l’État, il n’a rien d’une anomalie. Les expulsions de Palestiniens se multiplient en Cisjordanie, a fortiori depuis l’arrivée au pouvoir, en 2022, du gouvernement d’extrême droite. La situation s’est encore aggravée depuis l’invasion de la bande de Gaza : « Ils profitent du fait que l’attention du monde soit focalisée sur Gaza pour intensifier leur activité », dénonce Michelle Quasieh. Même constat pour Yonatan Mizrachi, de l’ONG Peace now : « Depuis le 7 octobre, la colonisation s’est accélérée : on observe la construction de nouveaux avant-postes, des milliers de Palestiniens se sont vu bloquer l’accès à leurs terres pour des raisons de sécurité, et les déclarations de propriété foncière de l’État en Cisjordanie ont été, cette année, plus nombreuses que jamais. La violence des colons a aussi beaucoup augmenté. »