Les élections en commission ont témoigné de liens jusqu’alors jamais vus entre la majorité sortante et les députés du Rassemblement national. Mais cette entente ne se traduira pas forcément dans le travail législatif.
Avec une ironie qui n’est pas sans amertume, l’extrême droite aime qualifier de « castors » les électeurs du « barrage républicain ». Pourtant à sa gauche dans l’Hémicycle, des élus souvent issus de la coalition gouvernementale s’appliquent à fragiliser le cordon sanitaire qui l’empêche, jusqu’alors, de peser concrètement à l’Assemblée nationale.
Ces députés ou néoministres, souvent issus des rangs d’Horizons, le parti d’Edouard Philippe, des Républicains (LR), voire des troupes macronistes, ne dédaignent plus le soutien du Rassemblement national (RN), un groupe qui pèse désormais, avec son allié Eric Ciotti, un quart des voix de l’Assemblée − 125 députés et 16 au groupe UDR (Union des droites pour la République). Et que son indulgence provisoire envers la majorité, face à un bloc de gauche le plus souvent uni, peut transformer en partenaire, en dépit des fondamentaux xénophobes de son programme.
Avant même l’examen des premiers textes de cette législature à la durée de vie incertaine, de premiers indices pointent en direction d’une érosion du « cordon sanitaire ». Les réélections des présidents de commission, à des postes laissés vacants par de nouveaux ministres de Michel Barnier, et l’élection des bureaux des délégations à l’Assemblée nationale, ont vu des députés du « bloc central » et de l’extrême droite se rendre des services.
Les lepénistes assurent, avec une dose de forfanterie, voir arriver sur leurs téléphones quelques demandes aimables et propositions de cafés venues, selon eux, de l’ancien bloc macroniste ou de LR. « Tout vaut négociation. On vient taper à la porte sans arrêt, on nous joue du violon, pour une présidence de délégation ou de commission… », certifie Sébastien Chenu, coprésident délégué du groupe RN à l’Assemblée nationale, avant de préciser qu’il ne passe aucun « deal ».
Faut-il le croire ? Mercredi 2 octobre, le député du Nord a été élu président de la commission d’apurement des comptes de l’Assemblée nationale. Une instance sans rôle politique, mais qui octroie, outre un chauffeur, un droit de regard sur les finances internes de l’Assemblée. Il aura bénéficié d’une voix du MoDem et d’une d’Horizons, et de l’abstention d’un député (Libertés, indépendants, outre-mer et territoires), dans le duel l’opposant au socialiste Philippe Brun. Le RN a également obtenu six vice-présidences de commission contre zéro lors de la législature précédente.
A l’inverse, plusieurs députés de l’ancienne majorité ont pu dominer les candidats de la gauche grâce aux voix de l’extrême droite, pour la présidence de deux délégations et trois commissions – les affaires étrangères (Bruno Fuchs, MoDem), les affaires sociales (Frédéric Valletoux, Horizons) et les affaires européennes (Pieyre-Alexandre Anglade, Renaissance). Cela avait déjà été le cas en juillet, notamment pour obtenir la présidence de la puissante commission des lois, où le député (Renaissance) Florent Boudié avait pu devancer la prétendante socialiste grâce à dix voix du RN.