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Diffusée au début des Jeux olympiques de Paris 2024, une publicité montrant comment l’IA de Google peut « aider » un enfant à rédiger une lettre personnelle à son idole a suscité une vive indignation avant d’être retirée. Mais les usagers des réseaux sociaux peuvent-ils mettre un frein à l’expansion des outils des géants de la tech ? Décryptage.

Son moteur de recherche a beau avoir conquis la plupart d’entre nous, Google semble avoir perdu une manche dans l’arène d’Internet : le Gafa (Google, Apple, Facebook et Amazon, NDLR) s’est finalement résolu, début août, à retirer une publicité diffusée dans le cadre des Jeux olympiques de Paris. « Nous avons décidé, au vu des réactions, de la retirer de nos annonces liées aux JO », a confirmé une porte-parole du groupe américain à l’AFP.

Au cœur de la polémique, cette vidéo dans laquelle un père raconte la passion de sa petite fille pour l’Américaine Sydney McLaughlin-Levrone, reine du 400 m haies. Celle-ci souhaite exprimer l’admiration qu’elle porte à son idole dans une lettre, et c’est ici que l’affaire se corse : le père fait appel à Gemini, le modèle d’intelligence artificielle générative de Google, pour rédiger le courrier.

Une tempête de critiques s’abat alors sur les réseaux sociaux, reprochant à Google de décourager la créativité infantile. « Le père dans la vidéo n’encourage pas sa fille à apprendre à s’exprimer. Au lieu de la guider pour qu’elle utilise ses propres mots (…), il lui apprend à s’en remettre à l’intelligence artificielle (IA) pour cette compétence humaine essentielle », avait réagi Shelly Palmer, professeure des médias à l’université de Syracuse, États-Unis.

Avant de la retirer complètement, Google avait d’abord supprimé la possibilité de commenter la version YouTube de la publicité. En cause aussi, selon l’expert, « une mauvaise compréhension de ce que sont les outils d’IA, et de ce qu’on peut en faire, y compris en termes d’accompagnement du développement éducatif des enfants ».

Contacté par l’AFP avant le retrait de la publicité, Google avait ainsi tenté de s’expliquer : « Nous pensons que l’IA peut être un outil formidable pour améliorer la créativité humaine, mais qu’elle ne pourra jamais la remplacer. »

« Nous ne remplaçons pas, on améliore » : un narratif « classique, et qui engage peu”, tranche Hubert Étienne, chercheur en éthique de l’IA. Le « remplacement » de l’Homo sapiens : ici réside pourtant le malaise général cristallisé par cette polémique, analyse ce philosophe. Avec une inconnue à la clef : « Chacun se sent obligé d’intégrer l’IA générative, mais sans que personne ne sache où elle nous mène ».

Parmi les entreprises du CAC 40, les acteurs se précipitent dans ce virage nouveau, craignant de manquer une révolution comme celle d’Internet par le passé, poursuit Hubert Étienne. Mais cet élan est contrarié par un paramètre sociétal : la crainte que la population n’accepte pas l’immixtion des outils d’IA. Comme cette inquiétude est partagée par les décideurs politiques – y compris en France – « l’enjeu n’est plus de discourir sur l’IA mais bien de la faire accepter, pour qu’il n’y ait pas de blocage » tranche le chercheur.

Professions naturellement concernées par l’arrivée des robots conversationnels, celles liées à l’écriture. Peu après la démocratisation de ChatGPT3, fin 2022, la rédaction de So Foot faisait contre fortune bon cœur, demandant à l’outil d’écrire un article sur le ballon rond « façon So Foot ».

Publié, imitant certes le style « décalé » du magazine, le texte n’a pas non plus « bluffé » les aficionados. « Ces systèmes de traitement statistique – tels ChatGPT – n’ont d’intelligent que le nom » commente Xavier Briffault. Ils ne font que réagencer des quantités abyssales de données, pour offrir des contenus que l’humain peut croire « originaux ».

La capacité de l’IA à remplacer intégralement ou non la créativité humaine est pourtant une question fondamentale, note prudemment Hubert Étienne : « Des experts peuvent vous en parler pendant des heures ». Sans pour autant apporter réponse, poursuit le philosophe : « Personne, à ce jour, ne l’a encore trouvée ».