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« Voulez-vous un café ? » En arrivant à la maison des Emirats arabes unis, lundi 5 août, près de la place de la Concorde, dans le 8e arrondissement de Paris, tout est fait pour offrir une découverte culturelle au visiteur. De jeunes guides souriants en tenue traditionnelle vous ouvrent la voie des différentes salles d’exposition mettant le sport et la culture des Emirats à l’honneur. Il s’agit d’une initiative inédite pour le pays, dont la délégation aux Jeux olympiques de Paris comporte seulement 14 athlètes. « C’est une opportunité pour les Emirats de montrer ce qu’ils sont, de faciliter la compréhension de leur culture, de leurs traditions, explique un chargé de communication de la maison. Par exemple, le café qu’on sert au début, c’est vraiment une marque de respect envers l’autre, cela symbolise le sens de l’accueil, la tradition d’hospitalité des Emirats. »

Plus au nord, à la India House, au parc des nations de la Villette, un jeune garçon tente de frapper la balle avec une batte de cricket. Un peu plus loin, à la maison de la Slovaquie, un groupe de jeunes rigolards tente avec maladresse de reproduire une danse traditionnelle présentée sur scène. La période des Jeux olympiques est l’occasion de s’offrir un voyage culturel à travers la planète, sans prendre l’avion, grâce aux différentes maisons olympiques dispersées entre Paris et la Seine-Saint-Denis. Plus que de simples fan zones, ces lieux sont devenus des ambassades à ciel ouvert.

« Ces maisons font partie de l’héritage des JO de Barcelone, en 1992 », retrace Armand de Rendinger, consultant international sport et olympisme. Pendant longtemps, les Etats organisateurs n’ont pas investi le terrain des Jeux olympiques comme un possible « vecteur d’influence », mais avec les Jeux de Barcelone, la donne a évolué. « L’Espagne, ou plutôt la Catalogne, a voulu montrer les différentes cultures qui existaient dans le pays et a voulu laisser un héritage important, au niveau de l’attractivité pour le tourisme. »

Réservées aux athlètes à leur création, ces maisons se sont donc progressivement ouvertes au public, notamment à partir des JO de Londres, en 2012. « Depuis Barcelone, on est entrés dans un autre système pour mettre en valeur, en quelque sorte, les vitrines des Etats. C’est bien l’étalage d’un soft power », explique Eric Monin, directeur du Centre d’études et de recherches olympiques universitaires. Le soft power, c’est cette capacité d’influence et de persuasion dont dispose un Etat, via son prestige ou son rayonnement culturel.

De nombreux pays ont compris l’intérêt de développer cette influence. Pour 5 euros, il est possible de pénétrer dans la maison de l’Inde, la première du genre aux JO. Le visiteur est accueilli par les couleurs chatoyantes de la décoration, mais aussi par des stands mettant en avant l’artisanat du pays. « On souhaite faire découvrir la danse, la musique, les arts du pays », explique Sandji, ambassadrice au sein de la India House, devant une œuvre réalisée par le peuple Gond, qui met les sportifs nationaux à l’honneur. L’Inde est également en campagne pour organiser les JO 2036 et il est possible d’entrer son nom dans un ordinateur afin de faire grandir la flamme de soutien à cette candidature.

Un peu plus loin, le long du canal de l’Ourcq, la maison tchèque a choisi de s’installer dans la salle de concert du Cabaret sauvage et propose une entrée à 10 euros. « On a cherché à créer une atmosphère et à montrer un peu de la culture tchèque, expose Daniela Jurion, porte-parole de la maison. Nous avons nos plats tchèques, vous pouvez déguster 32 bières différentes tchèques, nous avons aussi des expositions et, surtout, nous avons notre propre boulangerie. »

La maison de la Colombie est, elle, meublée de longues tables en bois ombragées pour accueillir des supporters en quête d’un peu de fraîcheur. Quelques mètres plus loin, l’ambiance de la plage de Copacabana s’est emparée de la Casa Brasil. Au milieu des touristes sirotant un cocktail, des matchs de beach-volley et des claquettes à vendre, il est possible de visiter, via un casque de réalité virtuelle, des sites iconiques du Brésil, comme les chutes d’Iguazu ou Rio de Janeiro.

L’attractivité touristique est un objectif pour ces différentes maisons olympiques. « Slovaquie : si proche et si surprenante », promet un guide de voyage distribué à l’entrée de la Slovak House. Des animations et une exposition photo de paysages donnent d’autres arguments aux visiteurs en quête d’idées de voyages. La maison de l’Afrique du Sud espère aussi attirer les touristes, en donnant à voir un bout de l’histoire et de la culture du pays. « Nous voulons que le public français ait envie de venir en Afrique du Sud. Rejoignez-nous, l’Afrique du Sud est un beau pays », plaide Barry Hendricks, le président du Comité national olympique. Le lieu a également été conçu comme un espace de partage pour tous les Sud-Africains de passage à Paris.

« Cette maison s’appelle ‘Ekhaya’, cela signifie : ‘Comme chez soi, loin de chez soi’. »
Barry Hendricks, le président du Comité national olympique d’Afrique du Sudà franceinfo

Offrir un espace réconfortant aux touristes de leur pays venus à Paris est aussi l’objectif premier de certaines maisons. Celle des Pays-Bas a ainsi investi en s’installant au zénith de Paris. Le billet d’entrée coûte 30 euros, mais les supporters ont pour ce prix-là plusieurs écrans géants en intérieur et en extérieur, en plus des différentes animations. Une armée de maillots orange lézarde au soleil, lundi, en regardant l’épreuve de voile du jour sur l’écran extérieur.

Pour leur maison, les Américains, qui préparent aussi les Jeux olympiques de Los Angeles pour 2028, ont vu grand avec une installation au palais Brongniart (l’ex-Bourse de Paris) et un ticket d’entrée à 325 euros. « Pour les Etats-Unis, les JO, ce n’est pas la compétition la plus importante, ce n’est pas le ‘Super Bowl’. Mais là, ils montrent clairement que, comme les autres pays, ils participent à faire du sport un élément de ‘soft power’ important », ajoute Armand de Rendinger.

Certaines maisons olympiques sont hantées par les enjeux diplomatiques liés au contexte international. En fin d’après-midi, la file d’attente s’allonge devant le pavillon de Taïwan. Alors que les tensions sont exacerbées depuis des mois entre Taipei et la Chine, l’existence même de cette maison est un enjeu géopolitique. « On a envie et on a besoin que la communauté internationale connaisse la voix du peuple de Taïwan et sa diversité culturelle pendant les JO », explique Lin Kun Ying, programmateur du lieu, sous un nuage de lanternes ayant pris la forme de l’île du Pacifique. « Notre pavillon devient une sorte de forum de discussions, tout le monde s’intéresse à la situation. On fait beaucoup de promotions, de reportages sur ce qui se passe ici. Mais en même temps, ça peut aussi susciter l’attention du gouvernement chinois. »

De l’autre côté du parc, l’Ukraine s’est installée dans un coin de la salle de spectacle du Trabendo. La maison olympique n’échappe pas à l’emprise de la guerre et le visiteur est accueilli par une carcasse de tribune jaune et bleu d’un stade ravagé par les combats à Kharkiv. A côté, une barre de musculation fabriquée en plein conflit avec des matériaux de récupération par l’athlète Andriy Protsenko. A l’intérieur, les histoires des victimes de la guerre s’enchaînent sur grand écran. Ici, en pleins Jeux olympiques, le verbe « gagner » prend un double sens. « Ce lieu est important, car les JO sont une scène géante pour montrer au monde entier la réalité ukrainienne de vivre tous les jours dans un pays en guerre, explique Serhii Bykov, porte-parole de la maison de l’Ukraine. Tous les athlètes ukrainiens peuvent raconter comment la guerre les a affectés. Certains ont perdu leur voisin, frère, sœur, épouse ou mari. »

« Des gens meurent à cause de l’agression russe. Et chaque jour où nous remportons des médailles aux Jeux, la Russie continue de bombarder Odessa, Kiev, Kharkiv et les autres villes. »
Serhii Bykov, porte-parole de la maison de l’Ukraineà franceinfo

Avec la guerre en Ukraine, les Jeux retrouvent toute leur dimension politique. « Ils veulent montrer très clairement qu’en dépit de la guerre, ils sont là. Ils utilisent un moyen ‘pacifique’ pour montrer leur volonté d’indépendance et de liberté », observe Armand de Rendinger. Personne n’échappe à cette tentation du ‘soft power’, selon le consultant. Ainsi, au Club France, l’immense site qui accueille les supporters français à La Villette, les athlètes français sont régulièrement mis à l’honneur via une liesse populaire. « Le message qui est passé à la terre entière, c’est qu’en France les athlètes sont rois, estime Armand de Rendinger. On n’a pas de moyens pour les financer, ils se débrouillent par eux-mêmes, mais on démontre que les athlètes sont un élément déterminant du prestige et donc du ‘soft power’ de la France. »