news-06102024-145231

Le président sortant Kaïs Saïed, élu en 2019 avec plus de 70 % des voix et qui s’était emparé des pleins pouvoirs à l’été 2021, est quasiment assuré de remporter le scrutin de dimanche en Tunisie alors que ses rivaux les plus sérieux ont été écartés par l’autorité électorale. Dans ce contexte, le taux d’abstention pourrait atteindre des sommets.

Les Tunisiens se rendent aux urnes dimanche 6 octobre pour choisir leur président lors d’un scrutin dans lequel le chef d’État sortant Kaïs Saïed part favori et qui suscite peu d’enthousiasme auprès d’une population plus préoccupée par ses difficultés économiques que par « la dérive autoritaire » dénoncée par la société civile. Les bureaux de vote seront ouverts jusqu’à 18 h (17 h GMT) pour accueillir 9,7 millions d’électeurs inscrits, selon l’autorité électorale Isie, qui prévoit des résultats préliminaires « au plus tard » mercredi.

Dans le berceau, en 2011, des révoltes démocratiques du Printemps arabe, seuls deux candidats – considérés par des analystes comme des seconds couteaux – ont été autorisés à affronter Kaïs Saïed, 66 ans, sur initialement 17 postulants, écartés par l’Isie pour des irrégularités présumées. Le premier est un ex-député de la gauche panarabe, Zouhair Maghzaoui, 59 ans, et le second, Ayachi Zammel, un industriel libéral de 47 ans, inconnu du grand public mais emprisonné dès confirmation de sa candidature début septembre.

En moins d’un mois, cet ancien député, soutenu par des forces de gauche et des personnalités de l’ancienne majorité parlementaire, a été condamné à 14 ans et deux mois de prison pour des soupçons de faux parrainages, dans trois procédures séparées. Son équipe a appelé les citoyens à « se rendre aux urnes en masse », exhortant l’Isie à « ne pas manipuler le vote des Tunisiens ». Porteur d’un projet de gauche souverainiste similaire à Kaïs Saïed qu’il soutenait jusqu’à récemment, Zouhair Maghzaoui a dénoncé avant le scrutin un « bilan égal à zéro » du pouvoir sortant, appelant aussi à une mobilisation des électeurs.

Le président « a verrouillé le scrutin » et devrait le « remporter haut la main », estime l’expert de l’International Crisis Group Michaël Ayari. La sélection même des candidats a été contestée pour le nombre élevé de parrainages exigé, l’emprisonnement de candidats potentiels connus et l’éviction par l’Isie des rivaux les plus solides du président.

Kaïs Saïed, élu en 2019 avec près de 73 % des voix (et 58 % de participation), était encore populaire quand ce spécialiste de droit constitutionnel à l’image d’incorruptible s’était emparé des pleins pouvoirs à l’été 2021, promettant l’ordre après des années d’instabilité politique. Trois ans plus tard, beaucoup de Tunisiens lui reprochent d’avoir surtout consacré son énergie à régler ses comptes avec ses opposants, en particulier le parti islamo-conservateur Ennahda, dominant sur la décennie de démocratie ayant suivi le renversement du dictateur Ben Ali en 2011.

Une « dérive autoritaire » du pouvoir est dénoncée depuis 2021 par les ONG tunisiennes et étrangères et l’opposition, dont les figures de proue, comme le chef d’Ennahda, Rached Ghannouchi, et à l’autre bout de l’échiquier politique, Abir Moussi, passionaria nostalgique de l’ère Ben Ali, sont en prison. Tous fustigent le démantèlement des contre-pouvoirs instaurés en 2011 et l’étouffement de la société civile avec l’arrestation de syndicalistes, militants, avocats et chroniqueurs politiques.

Près de 800 militants ont défilé vendredi à Tunis pour dénoncer les « libertés piétinées », appelant au boycott d’une élection « mascarade ». « L’abstention s’annonce forte » car « les citoyens ne se passionnent guère pour ce scrutin », comme fin 2022, début 2023, quand le taux de participation avait atteint seulement 11 % aux législatives, prévoit l’expert Michaël Ayari. Mohamed, un diplômé au chômage de 22 ans rencontré dans un quartier populaire, ne se sent pas concerné par le vote : « Cela ne sert à rien. »

« L’effondrement de la participation est l’indice le plus solide du découragement des Tunisiens envers leurs dirigeants », souligne à l’AFP Pierre Vermeren, expert français du Maghreb. Disant vouloir « sauver la Tunisie de traîtres » sous influence étrangère, le président Saïed jouit encore « d’un soutien non négligeable dans les classes populaires », selon Michaël Ayari, mais il est « critiqué pour son incapacité à sortir le pays d’une profonde crise économique », marquée par un pouvoir d’achat en chute libre.

Jeudi, Kaïs Saïed a appelé à « voter massivement » car, a-t-il promis, après « une longue guerre contre les forces du complot » ayant « infiltré de nombreux services publics et perturbé des centaines de projets, la traversée va commencer » vers « la construction d’une nouvelle Tunisie ».