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Au moins, il n’a pas (encore) retenu Mike Flynn, Kash Patel, ou encore Richard Grenell, peuvent penser les détracteurs de Donald Trump. Ces trois fervents partisans de Trump, pressentis pour occuper des postes dans la future administration du 47e président américain, représentent ce qu’un podcast politique américain pro-démocrate a qualifié de « chevaliers de l’apocalypse » de la sécurité nationale. Mais le « ouf » de soulagement aura été de courte durée. Le choix de Donald Trump pour diriger le Département du renseignement national (DNI) a fait avaler de travers bon nombre de spécialistes dans le domaine. C’est Tulsi Gabbard qui a été désignée par le futur président américain, mercredi 13 novembre, pour devenir, si le Congrès valide cette nomination, la patronne de « l’office qui chapeaute toutes les autres agences de renseignement et qui doit représenter le renseignement américain sur la scène internationale », explique Kaeten Mistry, expert de l’histoire de la sécurité nationale américaine à l’université East Anglia à Norwich (Angleterre).

Un choix qui a été qualifié de « risqué pour la sécurité nationale nord-américaine » par le site The Atlantic. « C’est sûr que cette décision peut être très préoccupante pour les membres de la communauté du renseignement », ajoute Dafydd Townley, spécialiste des questions de sécurité nationale à l’université de Portsmouth. Tulsi Gabbard, représentante du deuxième district d’Hawaï, est, en effet, dénuée de toute expérience de premier plan en matière de sécurité nationale. Son principal fait d’armes est « d’avoir été longtemps une étoile montante du Parti démocrate avant de retourner sa veste pour rejoindre le Parti républicain en octobre 2024 et devenir un fervent soutien de Donald Trump », note Kaeten Mistry.

Son manque d’expérience n’est cependant pas le premier souci, selon les experts interrogés. « La principale inquiétude concerne ses interactions avec le régime syrien et ses positions au sujet de la Russie », souligne Rob Dover, spécialiste des questions de renseignement et de sécurité nationale à l’université de Hull. Tulsi Gabbard a rencontré en 2017 le président syrien, Bachar al-Assad, alors même qu’il était accusé d’utiliser des armes chimiques contre son peuple. Elle a aussi repris les arguments de Moscou, accusant l’Ukraine ou l’Occident d’être à l’origine de la guerre, tout en répétant la théorie du complot au sujet de supposés laboratoires américains d’armes biologiques en Ukraine.

« C’est comme si Donald Trump voulait voir s’il pouvait nommer la personne qui, sur le papier, semble être la moins compétente possible pour le rôle », résume Dafydd Townley. Ce choix a d’autant plus surpris que Tulsi Gabbard « pourrait prendre la place d’Avril Haines, première femme à occuper le poste de directrice du renseignement national [depuis 2021, NDLR], qui avait une longue expérience en matière de renseignement et de sécurité nationale et a fait de son agence un acteur clé sur la scène internationale », souligne Daniel Lomas, spécialiste des services de renseignement à l’université de Nottingham.

Pour les experts interrogés, le choix de Tulsi Gabbard représente à merveille la méthode Trump pour constituer sa future équipe, surtout en ce qui concerne les questions de sécurité nationale. « C’est une nomination qui récompense la loyauté, mais aussi et surtout, c’est un choix idéologique », affirme Dafydd Townley. Outre ses déclarations pro-Assad et le fait de véhiculer la propagande russe, la potentielle future directrice du renseignement national incarne aussi l’isolationnisme militaire américain. À ce titre, elle joue dans la même cour idéologique que Donald Trump.

C’est aussi le cas de Pete Hegseth, favori de Donald Trump pour occuper le poste de ministre de la Défense. Un choix « qui peut apparaître comme la nomination la moins sérieuse de toutes », reconnaît Rob Dover. Ce vétéran de la guerre en Irak et en Afghanistan n’a jamais mis un pied au Pentagone et il est surtout connu pour être présentateur sur Fox News et grand amateur de tatouages nationalistes et pro-chrétiens. Mais Pete Hegseth est aussi idéologiquement très proche de la vision du monde de Donald Trump. En particulier « il a une piètre opinion de l’Otan, et de son rôle », souligne Dafydd Townley. Donald Trump manque rarement une occasion de critiquer l’organisation transatlantique, allant jusqu’à menacer de la quitter.

John Ratcliffe, le choix pour diriger la CIA, « partage également les vues de Donald Trump, tout particulièrement sur le travail des agences de renseignement. Il a été très critique des enquêtes sur l’ingérence russe dans la politique américaine depuis la présidentielle de 2016. C’est clairement une nomination politique », souligne Daniel Lomas.

Les experts interrogés sont tout aussi perplexes sur la décision de nommer Kristi Noem – gouverneure sortante de l’État du Dakota du Sud – à la tête du département de la Sécurité nationale (DHS). Connue pour ses mémoires dans lesquelles elle a raconté avoir tué un chien, Kristi Noem « n’a, à ma connaissance, aucune qualification particulière pour diriger cet énorme organisme en charge, surtout, de protéger le territoire américain contre les menaces extérieures. Sa principale qualité pour ce poste, aux yeux de Donald Trump, est qu’elle partage son obsession migratoire », résume Dafydd Townley.

Cette volonté de Donald Trump de faire passer la loyauté et l’idéologie avant la compétence « est le résultat de son premier passage à la Maison Blanche [entre 2016 et 2020, NDLR] », assure Kaeten Mistry. À l’époque, il avait tout d’abord opté pour des personnalités conservatrices « censées être compétentes dans leur domaine. Et il s’est toujours plaint que ces derniers l’ont empêché de faire ce qu’il voulait », précise l’expert de l’université East Anglia.

Cette fois-ci, il ne veut plus « d’adultes dans la pièce », – une expression qui désignait les professionnels de la politique qui ont tenté de calmer les excès de Donald Trump entre 2016 et 2020. De quoi inquiéter sur l’avenir de la politique américaine en matière de sécurité nationale ? « Il faut s’attendre, d’un côté, à davantage de pression sur les alliés pour qu’ils augmentent leurs contributions à des organisations comme l’Otan. Et de l’autre, à une politique qui sera encore moins entre les mains de professionnels de la sécurité nationale qui représentent, aux yeux de Donald Trump et ses alliés, cette élite qu’ils affirment combattre », affirme Kaeten Mistry.

« Les choix faits en matière de sécurité nationale seront davantage motivés par la politique que les faits. Le risque est que cela rendra la collaboration avec les alliés des États-Unis plus compliquée car ils se demanderont toujours à quel point on peut faire confiance aux Américains », ajoute Daniel Lomas. Ces agences ne se résument jamais à un seul homme, ou femme, à sa tête, et il y aura toujours des fonctionnaires pour assurer les arrières. Mais leur impact est limité. « Ces garde-fous peuvent rapidement disparaître en raison des incitations au sein de ces agences à se montrer aussi loyal que possible. On a vu ce que cela a pu donner après les attentats du 11-Septembre et les échecs du renseignement américain qui ont mené à la guerre en Irak », conclut Rob Dover.