La course présidentielle américaine est une quête de paradis perdu non financée. Kamala Harris et Donald Trump annoncent des dépenses comme si les déficits n’avaient plus aucune importance. Les Américains ne sont ni en guerre ni en récession, mais le gouvernement fédéral emprunte comme si c’était le cas. Jusqu’à quand ?, se demande dans sa chronique Stéphane Lauer, éditorialiste au « Monde ».
La campagne présidentielle américaine est étrange. Pendant que l’économie des Etats-Unis affiche des indicateurs au beau fixe (croissance, emploi, investissement, consommation), la Chine s’essouffle et l’Europe se lamente sur son décrochage. Pourtant, les deux candidats se positionnent comme si le pays était au bord du précipice. Si Donald Trump prétend rendre à l’Amérique sa grandeur, c’est qu’elle ne l’a toujours pas retrouvée. Si Kamala Harris veut lui redonner espoir, c’est donc que les Etats-Unis sont proches de la déprime.
La traduction économique de cette rhétorique politique conduit l’un comme l’autre à une surenchère de promesses déconnectées des réalités. Ils annoncent des milliers de milliards de dépenses comme si les déficits n’avaient plus d’importance. A les écouter, grâce à eux, l’Amérique serait appelée à devenir un gigantesque Disneyland de la prospérité économique, sans chômage, avec des impôts faibles et une croissance toujours plus dynamique sans aucun coût pour personne. La démagogie à l’état pur.
La campagne s’apparente à une quête de paradis perdu, qui n’est absolument pas financée, alors que la situation budgétaire du pays donne déjà le vertige. Les Etats-Unis ne sont ni en guerre ni en récession, mais le gouvernement fédéral emprunte comme si c’était le cas. Le déficit budgétaire va tutoyer, en 2024, 2 000 milliards de dollars (1 830 milliards d’euros, 6 % du PIB), et la dette a dépassé 34 000 milliards (125 % du PIB). Sous l’effet du vieillissement de la population et d’un écart grandissant et structurel entre les dépenses et les recettes, la charge de la dette en pourcentage du PIB est désormais supérieure au niveau atteint au sortir de la seconde guerre mondiale.
Jusqu’au début des années 2010, républicains et démocrates exerçaient une relative vigilance sur les déficits. Aujourd’hui, le sujet est totalement absent de la campagne électorale. Pire, les deux candidats se disent prêts à accélérer les dépenses. La France n’a donc pas le monopole du déni en matière de finances publiques.
Le Comité pour un budget fédéral responsable (CRFB), un groupe de réflexion non partisan, a calculé que, avec une combinaison de baisses d’impôts, d’augmentation des droits de douane, de crédits militaires et d’expulsions massives d’immigrés, Donald Trump creuserait le déficit budgétaire de 7 500 milliards de dollars au cours de la prochaine décennie. Kamala Harris, entre la hausse des dépenses sociales, la baisse des impôts pour la classe moyenne (tout en les relevant pour les entreprises et les plus aisés) aggraverait le déficit de « seulement » 3 500 milliards de dollars.