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Pourquoi les gens n’interviennent pas en cas d’urgence ?

Dans les transports en commun ou dans la rue, le courage semble parfois fondre aussi vite que neige au soleil. Bien qu’on se rêve tous en Clark Kent dans ces moments critiques, les expériences sociales montrent qu’une petite voix intérieure s’installe souvent : « Quelqu’un d’autre va intervenir. » Immédiatement, la plupart des témoins d’une agression ont tendance à se déresponsabiliser. C’est ce que l’on appelle « l’effet du témoin » : la probabilité qu’un individu intervienne face à une urgence diminue à mesure que le nombre de témoins augmente.

Le 13 mars 1964, Kitty Genovese, une jeune Américaine, marche dans une rue tranquille du quartier résidentiel du Queens, à New York. Soudain, elle est attaquée, violée et assassinée en pleine rue. Ses cris de détresse résonnent dans la nuit, captant l’attention d’une demi-douzaine de voisins des immeubles environnants. Pourtant, personne ne vient à son secours, personne n’appelle la police – jusqu’à ce qu’il soit trop tard.

Lorsque les journalistes se penchent sur l’affaire, ils découvrent les raisons troublantes de cette non-intervention. Les témoins expliquent simplement : « Je ne voulais pas être impliqué » ou « Je ne savais pas quoi faire ». Cette indifférence choque profondément les citoyens américains et suscite d’importantes controverses à travers le pays. Les circonstances du meurtre, fortement médiatisées, deviennent un symbole de l’apathie urbaine.

La vie urbaine déshumanise-t-elle ? Le meurtre de la jeune New-Yorkaise lance un débat de société sur la « déshumanisation » de l’Homo urbanus, le citadin, dans toute la presse américaine. Deux psychologues de l’université Columbia, John Darley et Bibb Latané, s’emparent du sujet, se demandant si un nombre important de témoins favorise, en effet, une « dilution de la responsabilité ».

L’expérience de Darley et Latané

Pour Darley et Latané, les témoins de l’attaque de Kitty Genovese n’ont pas aidé parce qu’ils savaient que d’autres personnes étaient également présentes. Pour tester cette hypothèse, ils conçoivent une expérience ingénieuse. Les participants sont placés dans des cabines individuelles et communiquent par interphone avec d’autres personnes situées dans des cabines séparées. On leur dit que l’objectif de la discussion est d’aborder les problèmes personnels des étudiants en milieu urbain. En réalité, un complice simule une crise nerveuse, de type épileptique, durant la discussion. Cette pseudo-victime commence par parler calmement avant de devenir de plus en plus incohérente et paniquée.

Le véritable test consiste à voir si le nombre de témoins présumés influence la rapidité des participants à signaler l’urgence et à intervenir. Les chercheurs font varier la taille du groupe de discussion : parfois le participant pense être seul avec la victime, parfois il croit qu’ils sont trois, voire six. Ils modifient également la nature des témoins présumés : une femme, un homme, ou un homme se déclarant étudiant travaillant dans un service d’urgence.

Les résultats sont éloquents : quand les participants pensent être seuls avec la victime, 85 % interviennent. Ce chiffre tombe à 62 % en présence d’un autre témoin et à 31 % lorsqu’ils pensent que quatre autres personnes sont présentes. La nature des témoins présumés n’a pas eu d’effet significatif : les participants interviennent aussi vite, que l’autre témoin soit une femme, un homme ou une personne avec des compétences médicales. Aucune différence de genre n’a été observée entre les sujets.

Ces résultats confirment l’hypothèse initiale : plus il y a de témoins dans une situation d’urgence, moins il est probable que chacun d’entre eux intervienne rapidement. Cette étude démontre également que la simple croyance en la présence d’autres témoins suffit à réduire considérablement les chances d’intervention.

Les facteurs influençant l’intervention

Depuis, la recherche a avancé et l’effet du témoin n’est pas remis en cause. Il s’est affiné. Face à une situation grave dans la rue, la première question que les témoins peuvent se poser est : « Que font les autres ? » S’ensuit un moment étrange où tout le monde se toise. Et, puisque personne ne bouge, chacun va pouvoir considérer que la situation est peut-être moins urgente qu’il ne le pensait… et décider de ne pas intervenir.

Une deuxième question perturbe les témoins : « De quoi vais-je avoir l’air si je me trompe ? » Ainsi, la crainte de déranger son voisin après avoir entendu des coups pour finalement réaliser, gêné, qu’il était simplement en train de monter sa bibliothèque peut dissuader d’intervenir…

Mais, surtout, un dernier songe traverse l’esprit et ralentit l’intervention : « Pourquoi moi plutôt qu’un autre ? » Plus il y a de témoins, plus il est facile de se dédouaner. Cette dilution de la responsabilité peut transformer une foule en spectateurs passifs, chacun attendant que l’autre bouge le premier. Et ce n’est pas juste une question de présence physique : le simple fait de savoir que d’autres assistent à la scène suffit pour que l’on se sente moins obligé d’agir.

L’impact du danger et des valeurs religieuses

Bien sûr, tout dépend du danger. Prenons l’exemple d’une étude de 2006. Les participants regardaient une vidéo dans laquelle une femme se faisait agresser. Certains étaient seuls, d’autres avec un témoin passif. Lorsque l’agresseur semblait imposant et dangereux, les témoins intervenaient aussi souvent seuls qu’en groupe. Mais, face à un agresseur plus frêle, les témoins en groupe intervenaient moins. En somme, quand le danger est évident, tout le monde se sent responsable et l’effet du spectateur disparaît.

Et le Bon Samaritain ? Les chercheurs John Darley et Daniel Batson, inspirés par la parabole du Bon Samaritain, ont voulu déterminer comment les valeurs religieuses influencent le comportement d’aide. Ils ont donc mené une expérience avec des étudiants en théologie, fervents de valeurs évangéliques. Après avoir participé à un séminaire où ils étudiaient, entre autres, la parabole du Bon Samaritain, ils ont tous été confrontés, sur le chemin du retour, à une « victime » – en réalité une complice simulant une détresse, repliée sur elle-même, semblant mal en point. Les résultats sont révélateurs : la profondeur de la foi et la vision religieuse influencent peu le comportement d’aide. Les résultats ne montrent qu’une légère hausse par rapport à un groupe non pratiquant.